Introduction éditoriale
En 1966, Ciye Wacays Caskar n’avait que 12 ans, mais il faisait déjà partie de la jeunesse militante pour l’indépendance. Il raconte ici, sans détour, ce qu’il a vu à EEGA : les exécutions quotidiennes, les files de prisonniers bâillonnés, les corps tombant sous les cris, les odeurs, le silence forcé.

Note éditoriale
Ce témoignage est une transcription traduite depuis un enregistrement oral en somali. S’il ne restitue pas chaque nuance avec exactitude, un soin particulier a été apporté pour en préserver le sens, la voix et l’intention. Le travail de transcription et de traduction a été appuyé par des outils d’intelligence artificielle, puis relu et ajusté manuellement.
Découpage chronologique du témoignage
EEGA, contrôle absolu et accès interdit
Je m’appelle Ciye Wacays Caskar.
J’ai 68 ans. En 1966, j’étais un garçon de 12 ans.
Je faisais partie de la jeunesse militante pour l’indépendance, et j’étais un guide dans notre quartier. Ce que je sais d’EEGA, c’est qu’on y avait fermé tous les accès avec du fil barbelé. Les gens ne pouvaient passer que par un seul endroit, qu’on appelait Kidin qudha (le seul passage). EEGA, à l’origine, n’était pas un lieu de paix. C’était un endroit extrêmement oppressant. Seules les personnes ayant une carte d’identité ou un acte de naissance pouvaient entrer en ville. Les autres étaient systématiquement renvoyées.
Je me souviens d’une petite carte, en carton noir, qui est apparue plus tard — très rudimentaire. Je connais EEGA comme un endroit de souffrance, où le peuple a été massacré. Les camps étaient pleins de gens. Chaque jour, au lever du soleil, on voyait deux personnes en train de creuser des trous. Et chaque soir, on assistait à des exécutions. On prenait des photos des condamnés, puis on les exécutait. Les corps étaient enterrés dans une fosse commune, dans un coin désigné.

Soldats, prisonniers, cris et acide
Mais la chose la plus atroce, que peu de gens connaissent encore aujourd’hui, c’est ce que faisaient certains soldats :
Un militaire apparaissait. Derrière lui, une personne. Cette personne était bâillonnée avec un tissu noir, les bras liés. Puis un autre soldat, une autre personne bâillonnée. Soldat, prisonnier. Soldat, prisonnier. En file indienne.
Quand ils étaient tous là, on leur versait un liquide visqueux et noir sur la tête. Ils criaient, se débattaient, tombaient à genoux dans la boue. C’était comme si on bombardait le sol. Leur agonie était si violente que tout l’air résonnait de leurs cris. Pendant ce temps, plus aucun véhicule ne circulait.
On stoppait toute circulation dans la ville. Aucun véhicule n’entrait ni ne sortait. Cela durait pendant des heures, jusqu’au soir.
Nous, on restait tout près, dans les environs de Jama Cawleed.
L’odeur du produit — probablement un gaz ou un acide — arrivait jusqu’à nous. On se protégeait derrière les grosses pierres de la zone.
Puis, le soir, quand aucun parent ne venait chercher ceux qui étaient encore à EEGA, des coups de feu retentissaient. On se dispersait en courant dans toutes les directions, comme des singes en panique. Certains allaient jusqu’à la zone industrielle (Warshada Dharaar).
C’était la panique totale, la peur absolue.

Ce lieu sacré où des gens ont été enterrés vivants
À la jeunesse d’aujourd’hui :
Ce centre qu’a fait construire le Président, qui porte cette mémoire, est un lieu sacré. Des gens y sont morts. Des gens y ont été enterrés vivants.
Je veux que les jeunes apprennent l’histoire de leur pays. Je veux qu’ils l’enseignent à leur tour aux autres. C’est un sujet dont on peut être fier. Et ce n’est pas seulement une fierté, c’est un devoir de mémoire. Ceux qui ont vécu cela, quand ils s’en souviennent, ne peuvent pas dormir sans pleurer. Si notre pays n’était pas libre, personne ici n’aurait pu vivre en paix.
Ce serait encore le chaos.
Connaître, aimer, protéger son pays
Je dis aux jeunes et aux anciens :
Apprenez votre histoire.
Allez à EEGA. Regardez, comprenez, aimez votre pays.
Moi, je ne veux même pas qu’un petit caillou touche mon pays. J’ai vu ce que vous ne pouvez même pas imaginer.
Témoignage enregistré par l’ANPC lors de l’inauguration du site d’EEGA, 2022