Introduction éditoriale
Ibrahim Kahin Gadid avait 12 ans lorsqu’il a été témoin des premières installations de barbelés autour de Djibouti-ville. Installé ensuite à Balbala, il raconte les files, les contrôles, la peur de ne pas avoir de papiers, les humiliations, mais aussi la manière dont cette époque a forgé chez lui un profond attachement à la nation.

Note éditoriale
Ce témoignage est une transcription traduite depuis un enregistrement oral en somali. S’il ne restitue pas chaque nuance avec exactitude, un soin particulier a été apporté pour en préserver le sens, la voix et l’intention. Le travail de transcription et de traduction a été appuyé par des outils d’intelligence artificielle, puis relu et ajusté manuellement.
Découpage chronologique du témoignage
Une enfance à Balbala, aux portes de la ville
Je vous salue, ainsi que le Président et son épouse, et tous les dirigeants du pays.
Je m’appelle Ibrahim Kahin Gadid.
J’avais 12 ans à l’époque. Balbala était encore un lieu paisible, mais c’est en ville que se concentraient les tensions. C’est en pleine journée, au moment où le fil barbelé a été installé, que le malheur est arrivé.
Ensuite, je me suis installé à Balbala en 1968, alors que j’étais un jeune adolescent. Depuis ce jour, sauf en cas d’absence nocturne, je suis toujours resté sur place, témoin de tout ce qui s’est passé. J’y ai vécu, j’y ai grandi, j’y ai eu mes enfants.
Barbelés, papiers et attente sous les arbres
Quand on a installé ce fil barbelé piégé de mines, un unique passage a été aménagé à Kidin, et seuls ceux qui possédaient une carte pouvaient le franchir. Tous les autres étaient refoulés.
Les gens ont beaucoup souffert. Personne ne pouvait circuler sans papiers. Ceux qui venaient de Bila-Waaq et demandaient de l’aide étaient tués. Les gens fuyaient. On tuait les gens simplement parce qu’ils n’étaient pas libres. C’est pour cela qu’on a dit que EEGA était un lieu de souffrance.
Nous, qui avions des papiers, même un léger désordre suffisait pour qu’on nous refoule. On nous disait : « rentrez chez vous ». Voilà pourquoi le nom « EEGA » a été donné.
Personne ne pouvait ni entrer ni sortir sans papiers. Que faisaient les gens ? Ils restaient sous les arbres, guettaient la ville, et observaient les passants. Si l’un d’eux détenait des papiers, il était pris en chasse par les colons, poursuivi jusqu’à la colline de Bilic-Bilic. Ils scrutaient la ville, espérant apercevoir un proche, un repas, un envoi d’argent.

Du chaos à la stabilité : ce que le pays est devenu
Aujourd’hui, c’est un pays. On appelle un lieu un pays s’il est stable et gouverné.
Et ce mot “pays”, c’est grâce aux efforts des anciens, dont le Président est le premier représentant. Ils ont construit ce pays où chacun peut manger et dormir où il veut.
Aujourd’hui, on n’a plus peur de nos voisins.
Nous sommes comme un nomade dont la selle est tombée : il ne s’en est pas rendu compte, alors il a pris celle d’un autre.
On vit dans le confort, et on remercie Dieu. Qu’Il nous maintienne dans cette paix.
Message aux jeunes : aimer, transmettre, protéger
Je dis aux jeunes : si vous ne comprenez pas aujourd’hui, vous ne comprendrez jamais. L’amour du pays est précieux.
Les anciens ont accompli leur devoir. C’est aux jeunes de prendre la relève.
N’allez pas chercher ailleurs — ni en Europe — mais regardez autour de vous. Instruisez-vous, instruisez vos proches.
Apprenez votre histoire. Ce monde est fait d’histoire et de disparition.
Les hadiths du Prophète ﷺ nous ont transmis cette mémoire. Sans eux, les mécréants ne nous auraient rien légué d’utile.
Suivez les hadiths, suivez l’amour du pays. Défendez votre pays, rejetez ce qui l’abîme.
Que les écoles transmettent cet héritage. Que les enfants apprennent de leurs parents. Mais n’aimez pas le pays de manière passive : sans amour, il n’y a pas d’apprentissage.
Celui qui écoute sans vouloir entendre est déjà absent. Aujourd’hui, on est en vie. Seul Dieu sait ce que demain nous réserve.
Aimons notre pays, hommes et femmes.
L’amour de la patrie : voilà ce que je recommande aux jeunes.
Et à ceux qui disent « Que ce pays tombe, nous ne le voulons pas », je leur réponds : vous ne savez pas ce que nous avons vécu.
On nous tirait de notre sommeil à coups de crosse, embarqués dans des camions à deux heures du matin, sans qu’on nous demande quoi que ce soit.
Y a-t-il encore quelqu’un aujourd’hui que l’on réveille ainsi en pleine nuit ?
Non. Cela nous est arrivé à nous.
Les gens étaient entassés, nus, on leur arrachait leurs vêtements. On ne les écoutait même pas.
Être patriote, c’est vivre ainsi, survivre à cela.
C’est pour cela que je dis que le Président et son épouse méritent des éloges.
Témoignage enregistré par l’ANPC lors de l’inauguration du site d’EEGA, 2022.